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les Contemplations

30 Avril 2016 , Rédigé par Léon-Paul Fargue Publié dans #préface

UN POETE D'AVENIR

Je ne suis pas de ceux qui se laissent troubler par quelques romantiques étrangers selon lesquels nous n'aurions pas, chez nous, le sens du mystère et ne vaudrions que par ce qui appartient à la clarté, à cette fameuse clarté française, pas plus que je ne me laisse croire, avec M. de Malézieu, que nous n'avons pas chez nous la tête épique. Voire. Les quatre millions de vers du Moyen Age prouveraient rudement le contraire. Dans le domaine épique pur, nous ne pouvons peut-être rien montrer de comparable à l'Enéide ou à l'Odyssée, c'est entendu. Mais dans le peloton des têtes mystérieuses, pour ne citer qu'un seul exemple, et de quel tonnage! nous pouvons sans crainte aligner le père Hugo. Il n'y a peut-être pas d'oeil plus grand ouvert, malgré son compère-loriot d'égocentrique et peut-être grâce à lui, sur le monde secret et les horizons du fantastique.

[...]

J'ai cité un jour ces deux vers à un lettré:

...J'aurais tué Pégase et je l'aurais fait cuire

Afin de vous offrir une aile de cheval...

Il douta qu'ils n'étaient pas de Mallarmé. Rien, aucun exemple, aucun lapsus ne saurait mieux montrer que Victor Hugo est à l'origine d'une grande partie de la littérature contemporaine. C'est lui qui avait les clefs.

L'auteur du Satyre a comme autorisé le Parnasse, le Symbolisme, la poésie industrielle, la publicité, la Tour Eiffel, Dada, le Surréalisme et les dérivés d'Apollinaire. Il a créé des routes, il a colonisé les forêts vierges du Verbe, rendu habitables l'Arabie Pétrée de la rime, les déserts du rythme et de l'inspiration. Il a tracé des sentiers dans la nuit, exécuté d'une d'une patte de peintre-navigateur un ciel d'images et de boussoles particulières, que tout le monde, de l'amiral académique jusqu'au mousse littéraire, peut consulter pour se guider dans l'aventure poétique.

[...]

...ce qu'il y a justement d'admirable chez Hugo, c'est qu'il savait accueillir la banalité, c'est qu'il a comme enjambé le pédantisme, la niaiserie, le solennel, laissant ces médailles à ses commentateurs. Il y a des poèmes qui devaient être faits, des images qui manquaient, des noms propres qui ne rimaient pas. Notre littérature épique avait des mers de glace à faire fondre, des précipices à combler. Des puissants n'avaient pas été fustigés comme ils le méritaient, des victoires semblaient mal gagnées, certaines batailles avaient été trop perdues. Enfin, il fallait ramoner la vieille cheminée classique qui ne tirait plus.

Victor Hugo s'est chargé de ce travail. Il a rallumé le feu. Il a été le saint Nicolas, la mère Gigogne que réclamait le XIXe siècle. Et quel technicien! A-t-on bien examiné les images du grand homme? Non, on se contente d'opérer en son honneur un lâcher de mots oedémateux et massifs: olympien, colossal, sublime, aveuglant, énorme, divin, apocalyptique et catapultueux. Rien n'est plus vague. Et rien n'est plus faux. C'est l'abondance de l'oeuvre qui nous fait croire à la surabondance de ces qualités de titan ou de typhon.

Ce qu'il y a de plus frappant pour moi, chez Hugo, c'est ce quelque chose de constamment présent qui respire et vit dans ses images. Le secret est quasi en plein jour, et nous ne le voyions pas! Hugo poète arrive toujours à mettre les choses à leur place, à tirer ses métaphores, ses fusées, de la chose même qu'il considère ou contemple, de façon à obtenir un certain synchronisme qui éblouit. Il fixait à la fois la chose, l'heure, la couleur, le climat, la température, le souvenir et l'odeur. Tel est le secret de ce Pactole. On comprend mieux ainsi qu'il ait pu dire, en 1885, à l'empereur du Brésil qui avait manifesté l'intention de le voir: "Les poètes sont aussi des conducteurs de peuples."

Hugo, c'est vraiment l'honneur de la profession. On me l'a montré, un jour, alors que j'étais à peine gamin, sortant avec Vacquerie de sa maison de l'avenue d'Eylau, qui était au coin de la rue de la Pompe où nous habitions. C'était un très vieux monsieur à la barbe de soie blanche, dont la silhouette et la démarche de bon ours électrisaient la rue. J'ai eu ce jour-là la révélation de ce qu'il était, de ce qu'il devait être, de ce qu'il sera toujours: un Père Noël.

Un Père Noël qui a déposé des jouets jamais vus encore, des jouets merveilleux, des jouets insensés, dans les souliers de la littérature.

Léon-Paul Fargue.

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